Afrofuturisme : Centrer l’imaginaire de l’Afrique diasporique


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Afrofuturism : Centering the African-Diasporic Imagination
Colloque international
Lieux :
- Maison de la Recherche de l’université Paris 8 et Centre parisien de l’Université de Chicago pour les communications scientifiques
- La Dynamo de Pantin et le Festival Sons d’hiver pour les concerts.
Dates : Jeudi 9 et vendredi 10 février, de 9h à 23h
Organisation : Département de Musique de l’UFR Arts, Philosophie, Esthétique / Laboratoire MUSIDANSE
Responsable : Nicole E. Mitchell et Alexandre Pierrepont
Entrée libre sur réservation : lyrafred@gmail.com.

Ces dernières décennies, ces derniers temps ou ces temps à venir, les perspectives afro-futuristes ont habilement posé, non seulement que la pensée noire diasporique, partagée par toutes et tous, par contagion et contamination, avait été et serait un observatoire privilégié, omni-temporel, pour reconsidérer notre présence au monde, mais que les musiques issues de cette trans-histoire et de cette trans-culture en avaient été, de tous temps, comme la préfiguration. Un terrain d’émancipation, transformateur de la réalité, et des réalités. Retour sur un événement phare ?

Programme complet du colloque sur l’Afrofuturisme
Complete program of the Afrofuturism conference

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
L’afro-futurisme est un mouvement musical et artistique multimédia qui place les personnes de la diaspora africaine au centre d’un imaginaire du futur. Il est porteur de « manières d’être humain et humaine » paradoxales dans la façon dont il propose des symbioses uniques entre traditions passée et technologies à venir, entre héroïsmes et collectivités, entre luttes et fraternités ou sororités. Les artistes afro-futuristes conçoivent des mondes mythologiques alternatifs, en utilisant le folklore africain, la fantaisie et la sagesse ancestrales, pour aborder de manière créative la justice sociale, tout en explorant les expériences et les rêves des personnes noires de la diaspora africaine. Tout un corpus d’œuvres afro-futuristes, dans la musique, le cinéma, la science-fiction ou les arts visuels, est à approfondir, pour mieux comprendre aussi la diversité de la pensée et de la créativité noires. Car en se concentrant les méthodologies et les pratiques afro-futuristes, on obtient de précieux, d’indispensables outils pour discuter des défis du colonialisme, de l’esclavage, du genre/de la sexualité et du racisme institutionnalisé, en rapport avec l’expérience noire et avec l’expérience universelle.
 

Jeudi 9 février 2023 - Université Paris 8

 
Discours liminaire : Nicole M. Mitchell
Parmi les principales problématiques de la flûtiste, compositrice et improvisatrice Nicole M. Mitchell (professeure invitée au Département de Musique de l’Université Paris 8 – Vincennes – Saint-Denis, en février 2023) : comment transcender les pratiques artistiques et les incorporer à nos vécus ; comment créer un monde qui soutiendrait enfin la diversité des « manières d’êtres humains ou humaines » ? Où la technologie, repensée, serait enfin le remède qu’elle a toujours promis d’être, en résonance avec ce qui ne relève pas de son domaine ? Les perspectives afro- futuristes ont posé les défis de la symbiose au cœur des luttes actuelles. La pensée noire constitue un observatoire privilégié, omni-temporel – de même que la musique peut être un terrain d’émancipation, transformatrice de la réalité, et des réalités.
 
1. Jalons de la pensée spéculative noire
 
Sheree Renée Thomas : Les muses dangereuses du mouvement des arts spéculatifs noirs
Les écrivains noirs de fiction spéculative sont des muses dangereuses, des innovateurs et des innovatrices dont le travail inspire une nouvelle renaissance, intergénérationnelle, à l’échelle de la planète, une réémergence de l’afrofuturisme sous toutes ses formes. Les uns et les autres utilisent et réoutillent les conventions du genre pour réviser et inverser les significations longtemps retenues qui définissent la communauté et la narration communautaire. Les unes et les autres défient les anciennes significations imposées aux corps noirs et amplifient leurs voix, créant des personnages qui deviennent les héros de leurs propres aventures, les créateurs et créatrices de leurs propres histoires inoubliables. Leurs choix en matière de caractérisation, de langage, de thème et de cadre ne renforcent pas les notions traditionnelles quant à savoir quelles histoires méritent d’être racontées, ni même comment elles devraient l’être. Ces écrivains sont dangereux pour le statu quo, détruisant les vieux temples des âges d’or passés, construisant furtivement le monde à leur propre image à nouveau. « Dangerous Muses » explore la manière dont certains de ces écrivains, des années 1800 à aujourd’hui, réaffectent le genre de la fiction spéculative et identifient des sites d’intervention et de reconnexion. À travers leurs œuvres imaginatives, ils offrent aux écrivains, aux lectrices et aux lecteurs noirs, des espaces à habiter, de nouvelles dimensions de conscience et de nouveaux récits innovants pour interroger la famille, la race, le genre, la classe et l’identité.
 
James Gordon Williams : Théoriser la musique créative à travers la philosophie Ubuntu
Les musiciens créateurs nous ont laissé un vaste dépôt d’œuvres qui démontrent leur capacité à transformer les traumatismes en expressions de beauté artistique. Pourtant, il est important d’élargir notre compréhension des réponses musicales noires aux injustices systémiques, en dehors du discours ordinaire sur la résistance musicale (Lewis, 2019). J’utiliserai ici une lentille de philosophie ubuntu, comme base pour comprendre les pratiques musicales créatives subvertissant l’archétype du musicien noir protestataire, tout en m’appuyant sur le travail des théoriciens de la culture qui explorent la production culturelle africaine-américaine en dehors du cadre hégémonique des politiques raciales. Par conséquent, j’explorerai des théories telles que « la sereine intériorité » ou « la vivacité noire » (Quashie, 2012 ; 2021), ainsi que les possibilités de « réinventer les termes mêmes de la vie noire » (McKittrick 2021) dans le contexte des pratiques musicales. Je soutiens que cette théorisation, basée sur l’ubuntu, élargira notre compréhension de ces pratiques musicales kaléidoscopiques qui reflètent les complexités de la vie des Noirs.
 
Frederico Lyra de Carvalho : La Dialectique de l’Afrologic et de l’Eurologic
Dans cette communication, nous traiterons des développements théoriques des concepts afrologic et eurologic, élaborés par George E. Lewis en 1996 et développés dans son travail, mais aussi comment d’autres auteurs traitent de cette paire conceptuelle. Dans une triangulation épistémologique, nous tenterons d’élaborer les questions sous-jacentes à cette élaboration théorique à partir du prisme de la théorie critique brésilienne. Nous essaierons de montrer une hypothèse concernant le contexte historique, territorial et matérialiste de cet antagonisme et comment une actualisation de cette théorie peut nous aider à penser la situation du monde contemporain à partir de la musique et au-delà.
 
2. Arrêter l’identique et procéder au différent : l’humain comme pratique
 
Ytasha L. Womack : L’afrofuturisme en tant que pratique et qu’existence créatives
L’afrofuturisme est une façon de penser le monde qui s’inspire des relations à l’espace et au temps sur le continent africain et dans la diaspora africaine, dont beaucoup sont mises en évidence dans l’art. Dans cette conférence, l’écrivain Ytasha L. Womack explorera l’afrofuturisme comme une pratique permettant à la fois de libérer et d’embrasser la créativité.
 
Dénètem Touam Bona : Sub-versions afrodiasporiques : vivre et résister en mode mineur
La sagesse malicieuse des lianes invite à une pratique d’alliance entre formes de vie « mineures ». Mineures, parce que minorées voire damnées mais aussi parce que relevant d’un art de la fugue dont le marronnage constitue l’une des expressions les plus fortes : un jeu de cache-cache, aux variables multiples, qui subvertit rôles et places assignés, esquissant ainsi des futurs alternatifs. Loin de tout requiem, la fugue ne mobilise la mémoire que pour en faire une puissance fabulatrice. Par ses connotations musicales (polyphonie, baroque), la notion de « fugue » manifeste la dimension créatrice des différentes formes de « fugitivité » (esquive, camouflage, clandestinité, sécession furtive, etc.). C’est d’abord à partir de l’expérience d’un corps marron - un corps fugitif - que Dénètem pense la fugue, et tente de développer une conception musicale et chorégraphique des résistances subalternes.
 
Moor Mother : Jazz Codes ? (sous reserve)
Retour sur l’expérience et les perspectives de Camae Ayewa, alias Moor Mother, qui se voit comme une « voyageuse temporelle », dans une veine afro-futuriste qui ne se laisse pas hypnotiser par la manière avec laquelle on raconte l’histoire, qui se fraye ses propres chemins entre le passé, le présent et le futur, et comme une « diseuse de vérité ».
 
3. Encourager l’imagination collective : la connexion avec Chicago
Cette table ronde discutera de la manière avec laquelle Chicago, en tant que centre artistique et force spirituelle, et l’AACM (Association fore the Creative Musicians), un collectif de musiciens noirs, ont servi de véhicules pour le développement d’un art noir radicalement diversifié et expérimental. Parmi les intervenants, Nicole M. Mitchell, première femme présidente de l’AACM, Coco Elysses, actuelle présidente de l’AACM, l’auteur/musicienne/poète Jamika Ajalon et l’anthropologue Alexandre Pierrepont.
 
Concert à La Dynamo de Pantin : TONN3RR3 BIKAY3 + The Bridge 2.9 & Nicole E. Mitchell
Réservation, pour La Dynamo : rp@banlieuesbleues.org
 
 
 

Vendredi 10 février 2023 – Centre parisien de l’Université de Chicago

 
Discours liminaire : Fred Moten / Partager l’excentricité (en style xénogénétique)
Dans cet exposé, j’examinerai le destin de l’individuation – en tant que sujet, en tant que contrainte méthodologique, en tant qu’objectif esthétique, dans la composition littéraire et musicale : dans l’œuvre d’Octavia E. Butler et de Nicole M. Mitchell, en accordant une attention particulière à la force physique et sociale du style dans l’enchevêtrement mutuellement dérivé de la trilogie Xenogenesis de Butler et de la Xenogenesis Suite de Mitchell.
 
4. Le futurisme africain-diasporique : au-delà des frontières et des disciplines
 
Lauren Bernard : Blackness Within and Without : Espaces numériques et lieux réels
Le succès de la franchise cinématographique Black Panther, l’obtention historique du prix Pulitzer par Kendrick Lamar, ou le développement du "Black Siri", comme il est convenu de l’appeler familièrement, sont autant de signes d’une acceptation croissante de la Blackness numérique dans l’esprit du XXIe siècle. Pourtant, à notre époque, le corps noir et la voix noire "réels" sont bien trop souvent déplacés, exclus ou soumis à la suprématie blanche. La Blackness numérique ou virtuelle est permise dans des espaces où les corps noirs sont historiquement dévalorisés. Qu’est-ce qui rend acceptable et digne cette Blackness technologique, acousmatique ou virtuelle, à l’exclusion des corps noirs réels ? Cet article interroge la tension entre le traitement et l’acceptation de la Blackness dans les espaces numériques et réels.
 
Oulimata Gueye : L’Afrofuturisme permet-il de penser la place de l’Afrique dans l’histoire des sciences ?
Après avoir étudié pendant plusieurs années les usages de la science-fiction sur le continent africain, au tournant du XXIe siècle, je me demande si l’Afrofuturisme est un outil pour penser la place de l’Afrique dans l’histoire des sciences et des technologies ? La puissance de séduction du terme ne produit-elle pas plutôt une spécificité qui occulte la mise à l’écart des hommes et des femmes noir.e.s d’une histoire plus globale des sciences et des techniques ?
 
Guillaume Dupetit & Monika Kabasele : Fictions soniques et mondes imaginés
L’idée de « fiction sonique », proposée par Kodwo Eshun en 1998 dans son ouvrage More Brillant Than the Sun, désigne la capacité de façonner des mondes fantastiques et virtuels par la manipulation d’espaces sonores chargés de références. La fiction sonique est matérielle mais elle est aussi historique selon Holger Schulze, sociale pourrions-nous ajouter ici. Elle se situe dès lors que nous écoutons, expérimentons, digérons ou anticipons un événement sonore donné, que nous faisons appel à notre sensibilité sensorielle pour nous représenter le monde qui nous entoure. Cette communication vise ainsi à éclairer, au regard de productions récentes, cet état de passage, ce moment où la création musicale nous transporte vers ces mondes imaginés.
 
5. Mythologies noires : l’utilisation libératoire des codes et symboles culturels dans les arts afrofuturistes
 
David Virelles : Les traditions folkloriques et leur application dans les pratiques artistiques modernes
La musique traditionnelle a parfois le potentiel de suggérer de nombreuses directions artistiques à la musique moderne. Tout au long de sa carrière, M. Virelles a œuvré avec ces informations dans différents formats, allant du travail en piano solo aux paysages sonores électroacoustiques. Dans cette conférence, il présentera plusieurs des concepts généraux que l’on retrouve dans la musique traditionnelle cubaine, à travers une variété d’exemples, d’enregistrements audio et de vidéos, examinant le matériel de base et les œuvres contemporaines. M. Virelles illustrera comment ce type de travail a influencé sa propre production en tant qu’improvisateur, compositeur et instrumentiste.
 
Philippe Michel : Quand le jazz électrique prolonge l’art du maître tambour
Il y a de multiples manières d’envisager l’afrofuturisme. J’aimerais questionner, sous le prisme de cette notion polysémique, la façon dont certains groupes des années 1970-1980, à commencer par ceux de Miles Davis ou Herbie Hancock, ont en quelque sorte retrouvé, volontairement ou non, consciemment ou non, l’art du maître tambour d’Afrique de l’Ouest, ceci en radicalisant, notamment par l’usage des machines et des instruments électriques/électroniques, une tendance formelle centrale de la musique appelée jazz : la forme cyclique, cumulative, avec laquelle le déploiement dans le temps s’apparente à une construction ouverte (Umberto Eco), c’est-à-dire permettant diverses stratégies d’énonciation d’un ensemble de motifs, sons, phrases, etc., relevant d’un réservoir de possibilités plus ou moins déterminé (ou pas) avant le moment de la performance.
 
Travis A. Jackson : Passés, Projets, Mouvements : les carrières de l’afrofuturisme
Depuis sa première apparition dans la presse, le terme "afrofuturisme", qu’il soit appliqué à la fiction spéculative d’écrivains ou au travail de musiciens, toutes et tous afro-américains, a suscité résistance et débat. Dans cette présentation, je suivrai la carrière du terme dans des contextes musicaux, en soutenant d’abord qu’il s’agit au mieux d’un descripteur faible quand on considère le large éventail de pratiques musicales qui animent le travail de chaque artiste. Deuxièmement, que même dans les situations où les musiciens l’approuvent spécifiquement, il menace d’exclure un engagement critique (et historique) plus profond. J’examinerai ainsi une série d’exemples musicaux, en me concentrant sur le concept album The New Faith de Jake Blount, sorti en 2022, et sur son utilisation provocante du terme.
 
6. Space is the Place : l’espace imaginaire noir comme refuge pour la liberté
 
Frédéric Neyrat : Make Another Mistake : L’Afrofuturisme au Soleil de l’Invention
Mon intervention explorera la fonction de l’imagination dans l’Afrofuturisme et dans l’art, comme source pour reprendre l’imagination transcendantale aux entreprises de capture techno- capitalistes, qui utilisent le datamining pour anticiper et programmer nos devenirs. Si, comme le soutenaient Adorno et Horkheimer il y a plus d’un demi-siècle, les industries de la culture "schématisent à notre place", notre place - notre espace, psychique et cosmologique - ne peut être reconquise qu’en pratiquant une imagination défonctionnalisante, celle du Grand Refus (Herbert Marcuse) qui consiste aujourd’hui à devenir imprévisibles.
 
Norman Ajari : Un futur noir : race, technologie et afrofuturisme
Le Noir est sans futur car le monde blanc s’offre à lui comme unique horizon désirable, explique Frantz Fanon dans Peau Noire, Masques Blancs. Aujourd’hui encore les mondes imaginés par les magnats de la tech, d’Elon Musk à Peter Thiel, dessinent un paysage où les Noirs sont quantité négligeable. L’objectif de cette intervention sera de penser l’afrofuturisme comme un ensemble d’efforts pour réinventer de façon spéculative le rapport entre noirceur et technologie qui s’est catastrophiquement scellé au moment de la traite négrière et imposer l’évidence d’un futur africain.
 
Tamara Singh : Les rêves de liberté en thérapie
Autour de la thérapie et de la libération au quotidien, autour d’une clinique critique (penser à Jean Oury, Félix Guattari ou Frantz Fanon) et des arts du faire – comment, dans ma pratique professionnelle d’hortithérapeute, patients et patientes s’accaparent un processus de création où chacun et chacune est invité et encouragé à s’abreuver de musiques, d’arts et d’écrits poétiques afrodiasporiques afin de se libérer des injonctions hyper-assimilationnistes qui s’avèrent mensongères, malsaines et malaisantes, et de fabriquer des espaces psychiques et réels où exister aussi avec sa singularité.
 
Concert à la Salle Jacques Brel de Fontenay-Sous-Bois, dans le cadre du festival Sons d’hiver : Moor Mother & Band presents : “Jazz Codes”.
Réservation, pour Sons d’hiver : https://www.vostickets.net/billet?ID=SONSDHIVER
 
 
 
 
 
 
 

Visuel de Megan Craig et Leslie Kuo